Derrière la mécanique du Béhémoth des matières premières se cachent un sang et une chair particuliers. Entre amitiés et trahisons, tour d’horizon de la galaxie Glencore.
Par Clément Bürge
Un monstre nébuleux et froid. Telle est la première impression que suscite l’entreprise Glencore. Mais son histoire s’inscrit dans celles de personnalités particulières. A l’origine de celle-ci, un seul et unique homme: le sulfureux Marc Rich, plus grand trader de tous les temps. Même si l’homme s’est fait éjecter par sa propre compagnie en 1992, Daniel Ammann, auteur de The King of Oil, une biographie de Marc Rich, souligne: «Aujourd’hui encore, on retrouve très clairement l’esprit de Rich dans la société.» Plus qu’un esprit, son ADN est ancré dans les employés: «Comme lui, ils travaillent comme des fous, ils sont toujours plus agressifs que leurs concurrents et ils osent faire ce que les autres ne font pas, comme aller en Angola ou plus récemment en République démocratique du Congo.»
Milliardaires instantanés. Mais l’histoire de Glencore est aussi celle de relations humaines, entre perfidie, loyauté et copinage stratégiques. A l’image de la trahison du bras droit de Marc Rich, Willy Strothotte, qui forcera ce dernier à quitter sa propre société pour en reprendre les rênes. Des intrigues souvent dignes de l’univers BD de Largo Winch.
En mai passé, la cotation en Bourse de la société a mis en lumière la richesse de ses leaders. Instantanément, quatre nouveaux milliardaires ont émergé: Ivan Glasenberg (CEO), Daniel Francisco Maté Badenes (aluminium), Aristotelis Mistakidis (mines) et Tor Peterson (charbon). A leurs côtés, 485 autres traders sont également devenus multimillionnaires. Un enrichissement qui a nettement contribué à remplir les caisses des communes de la région, où plusieurs leaders de Glencore résident notamment dans la micro-localité de Rüschlikon (ZH) – 5800 habitants – qui accueille Ivan Glasenberg. Rien qu’en 2011, le CEO sud-africain de Glencore a rapporté 55 millions de francs à la petite commune.
Les pères fondateurs
Marc Rich La légende. Fortune: env. 900 millions fr.
L’homme par qui tout a commencé. La vie entière du «roi du pétrole» sera marquée par les coups d’éclat. Juif, originaire de Belgique, il échappe à la Seconde Guerre mondiale en se réfugiant aux Etats-Unis. Employé chez Philipp Brothers, le jeune trader enchaîne les coups de génie comme la création du marché mondial d’achat de pétrole. Un succès qui mènera sa société à refuser de lui verser le bonus qu’elle lui doit. Vexé, il crée Marc Rich & Co., l’ancêtre de Glencore. Génie pour certains, démon pour d’autres, son succès est attribué à son agressivité hors du commun et à sa capacité à négocier avec n’importe quel partenaire, comme le régime de l’apartheid ou l’Iran. Une attitude qui lui vaudra d’être poursuivi par le procureur de New York de l’époque, Rudolph Giuliani. Accusé de fraude, d’évasion fiscale et de commerce avec l’ennemi, le fugitif, installé en Suisse, est gracié en 2001 par Bill Clinton.
Pincus green L’acolyte loyal. Fortune: env. 1,1 milliard fr.
«Pinky» a été l’une des personnes les plus importantes pour Marc Rich. Son premier-lieutenant le plus loyal. Né à Brooklyn au sein d’une famille juive et pauvre, ils se rencontrent lorsqu’ils travaillent à Philipp Brothers. Grâce aux capacités de stratège et à la connaissance du transport maritime de Pincus Green, Marc Rich et lui fondent le marché mondial de pétrole. En 1974, ils créent ensemble Marc Rich & Co. Le caractère de Pincus Green, très discret et croyant, se trouve à l’opposé de celui de Rich, cosmopolitain et athée. Poursuivi aux Etats-Unis comme Marc Rich, il sera aussi gracié par Bill Clinton en 2001. Son fils, Alan Green, gère aujourd’hui sa fortune au travers de la société Yeshil Management, basée à Zoug.
Willy Strothotte L’ex-bras droit. Fortune: 3 à 4 milliards fr.
C’est en 1978 que l’Allemand est recruté par Marc Rich. Il devient très rapidement l’un de ses protégés. Marc Rich le licencie en 1992, l’accusant de trahison, après que Willy Strothotte a suggéré à Rich de quitter la société. Les autres managers forceront Marc Rich à le faire réintégrer la société en 1993, en échange de son propre départ. CEO de la nouvelle entreprise nommée alors Glencore, ce passionné de golf prendra sous son aile le jeune Ivan Glasenberg et lui donnera l’opportunité de développer la société de négoce en acteur minier. Willy Strothotte lui laisse sa place en janvier 2002. Il restera à la tête de Xstrata jusqu’en mai 2011.
Les maîtres
Ivan Glasenberg Le CEO. Fortune: env. 6,3 milliards fr.
La sombre intensité de ses yeux est le reflet de sa passion pour les affaires. Constamment en voyage, Ivan Glasenberg est le révolutionnaire qui a poussé Glencore à être plus qu’un simple intermédiaire et à investir dans la production des matières premières. Recruté par Marc Rich en 1984, il le trahira en 1992 pour rejoindre Willy Strothotte à la tête de Glencore. En mai 2011, le Sud-Africain de 55 ans est devenu instantanément l’un des hommes les plus riches de Suisse au moment de la cotation en Bourse de la compagnie. Un parcours ahurissant pour ce diplômé en comptabilité de la petite Université du Witwatersrand à Johannesburg et d’une école de commerce américaine de second rang. Après la fusion avec Xstrata, l’ancien CEO de Glencore sera le directeur général adjoint de la nouvelle entité.
Mick Davis Le nouveau boss. Fortune inconnue; salaire annuel: 26,6 millions fr.
Futur CEO de la société combinée entre Xstrata et Glencore, ce Sud-Africain de 52 ans a commencé sa carrière chez Peat Marwick (aujourd’hui KPMG), avant de fonder le géant minier Billiton avec un autre mythe, Brian Gilbertson. Il jouera un rôle clé dans la création de l’entité fusionnée BHP-Billiton, la plus grande compagnie minière du monde en termes de capitalisation de marché. Faute d’avoir décroché le poste de CEO, il quitte l’entité pour Xstrata en 2001. Le mythe veut que «Big Mick» ait rencontré Ivan Glasenberg lorsqu’il enseignait la comptabilité à l’Université du Witwatersrand.
Sir John Bond Le chevalier-président. Fortune inconnue.
En provenance de Vodafone, l’homme rejoint Xstrata en mars 2011 dans l’objectif de conclure la fusion entre Glencore et Xstrata. L’expérimenté président (70 ans) est connu pour sa longue carrière à HSBC, où il a travaillé entre 1991 et 2006. Réputé prudent, il a entraîné la banque britannique à acquérir en 2003 la Household International, un établissement financier qui s’empêtrera dans la crise des subprimes en 2009. Il sera président de la nouvelle entité Glencore-Xstrata.
Simon Murray Le sulfureux. Fortune inconnue.
L’homme d’affaires de classe internationale, âgé de 71 ans, est surtout connu pour ses frasques comme ses déclarations misogynes sur le manque d’ambition des femmes ou un obscur scandale boursier se déroulant entre Hong Kong et les forêts du Yunnan. Aujourd’hui, il est «Independent Non Executive Chairman» de Glencore. Il a notamment accompli l’exploit d’atteindre le pôle Sud en solitaire à 64 ans. Il a gravi l’Everest quelques années auparavant avec le président de Rolls Royce, Sir Simon Robertson.
Steven Kalmin Le banquier. Fortune: env. 400 millions fr.
Le regard clair et l’esprit posé, l’ancien comptable australien devient le directeur financier de Glencore en 2005, après avoir été le responsable financier du département charbon. Il détient un bachelor en HEC (business) de l’Université de technologie de Sydney.
les lieutenants
Axel Beard Le baron du pétrole. Fortune: env. 1,8 milliard fr.
Ancien de BP, ce diplômé en biochimie de l’Université d’Oxford a rejoint Glencore en 1995. L’ascension du Britannique serait liée à sa connaissance des marchés pétroliers de l’ex-URSS. Il a 43 ans.
Gary Fegel L’homme de l’aluminium. Fortune: env. 900 millions fr.
Arrivé en 2001 en provenance d’UBS, l’homme de 43 ans est détenteur d’un MBA de l’Université de Saint-Gall. Il est codirecteur du département aluminium.
Daniel FranCisco Maté Badenes L’Espagnol. Fortune: env. 2,4 milliards fr.
A 47 ans, l’Espagnol est le quatrième homme le plus riche de son pays (même s’il habite en Suisse). Il a commencé sa carrière aux bureaux de Glencore à Madrid en 1988. Il est codirecteur du département zinc, cuivre et plomb depuis 2000.
Christian Wolfensberger Le Suisse de la bande. Fortune: env. 800 millions fr.
Le Suisse rejoint Glencore après l’obtention de son diplôme de l’Université de Saint-Gall en 1994. Il s’occupe du département ferroalliages, nickel et cobalt depuis 2005, avec Stuart Cutler. En 2007, Wolfensberger s’est marié avec Fiona Hefti, ancienne Miss Suisse 2004.
Giles Jones Le gestionnaire du risque. Fortune inconnue.
Agé de 43 ans, le Britannique a rejoint le département pétrole de Glencore en 1990. En 2011, ce diplômé en droit de l’Université de Londres devient le chef mondial de la gestion du risque de la compagnie.
Aristotelis Mistakidis Le géant des mines. Fortune: env. 2,4 milliards fr.
En provenance de Cargill, ce Gréco-Britannique a rejoint Glencore en 1993. Il y codirige le département zinc, cuivre et plomb. Ce diplômé de la London School of Economics est également le directeur de la mine de Xstrata au Katanga, au Congo, et président de la mine de Mopani, en Zambie.
Tor peterson L’héritier du charbon. Fortune: env. 2,1 milliards fr.
Ce charmeur américain de 47 ans est entré à Glencore il y a vingt ans. Francophone et francophile, il travaille dans le négoce du charbon. Après avoir été responsable de ce secteur en Colombie, en Russie et en Europe, il reprend la direction de la division des mains d’Ivan Glasenberg en 2002.
Chris Mahoney Le magicien du grain. Fortune inconnue.
Formé au négoce des matières premières agricoles chez l’américain Cargill, le Britannique de 53 ans a rejoint le secteur agri de Glencore en 1998, pour en prendre les rênes quatre ans plus tard. Sous son impulsion, la division a connu un boom phénoménal, propulsant la multinationale au rang de poids lourd dans ce domaine du négoce.
Les traîtres
Eric de Turckheim Le baron. Fortune inconnue.
Le regard fin, ce Français est l’opposé de Claude Dauphin. Le baron a fait sciences-po Paris avant de rejoindre Marc Rich & Co. et de quitter l’entreprise pour fonder Trafigura, une des plus grandes sociétés de négoce qui est basée à Genève.
Claude dauphin Le ferrailleur. Fortune inconnue.
Fils d’une famille de ferrailleurs, le Français est un génie du négoce. A 25 ans, il prend la tête du département pétrole de Marc Rich & Co. et gagne, à 30 ans, «près de 50 millions par an», selon Le Monde. Il fonde Trafigura avec Eric de Turckheim.
source: http://www.hebdo.ch/le_code_genetique_des_glencore_boys_155491_.html