Ivan Glasenberg, le «Magneto » des matières premières

C’est depuis le village de Baar, dans le canton de Zoug, qu’un homme règne sur les prix mondiaux des matières premières. Ivan Glasenberg, 54 ans, CEO de Glencore depuis 2002, est à la tête d’un empire de 2700 traders, avocats, comptables, qui achètent, extraient, transportent et vendent toutes sortes de matières premières dans 40 pays, et pour lequel 54 800 autres employés œuvrent dans les opérations industrielles.

Par Myret Zaki

Ce vaste réseau lui procure en temps réel un faisceau unique d’informations politiques et financières de première main sur les marchés du pétrole, du charbon, du sucre, des grains ou des métaux à travers la planète, et confère à sa société, No 1 du secteur, un tel pouvoir sur les prix qu’elle est surnommée la «Goldman Sachs» des matières premières. Ivan Glasenberg a fait son entrée dans le panthéon des 100 plus grandes fortunes de Forbes cette année: depuis la cotation boursière de Glencore le 19 mai, sa part de 16% dans la société est valorisée à 8,3 milliards de dollars.

Paradoxalement, cela représente huit fois la fortune estimée de l’homme auquel Glencore doit sa naissance et son succès de ses vingt premières années: Marc Rich, le sulfureux trader de génie qui a fondé l’ancêtre de Glencore en 1974, Marc Rich & Co. A cette époque, l’homme d’affaires belge dominait comme aucun autre après lui le négoce de pétrole, d’aluminium et d’argent. Mais les pratiques douteuses qui ont entaché sa réputation (lire résumé en encadré) et son inculpation aux Etats-Unis en 1983 pour violation de l’embargo contre l’Iran (qui aurait pu lui valoir une sentence de 325 ans de prison s’il n’avait fui le FBI pour se réfugier en Suisse) expliquent pourquoi l’ex-magnat de 75 ans n’est jamais devenu aussi riche qu’un Ivan Glasenberg qui fut, pourtant, l’un de ses jeunes disciples. Mais autant Marc Rich a creusé son passif judiciaire, autant Ivan Glasenberg a veillé, dix ans plus tard, à voler en dessous des radars judiciaires. En 1993, les coactionnaires de Marc Rich, dont a fait partie Ivan Glasenberg, profitent d’une mauvaise opération effectuée par l’homme fort du groupe sur le marché du zinc pour exiger sa sortie du capital. Ils lui rachètent sa part pour 600 millions de dollars, et la société tourne alors cette page délicate de son histoire. C’est la fin de l’ère Marc Rich.

Après le management buy-out, l’Allemand Willy Strothotte, formé lui aussi à l’école du grand maître du négoce, prend sa succession et renomme la société Glencore. Mais c’est au moment où Ivan Glasenberg lui succède, en 2002, que le marché des matières premières connaît un décollage historique. Les prix dans ce secteur connaissent un rallie phénoménal dans les années qui suivent sa nomination, contribuant d’autant à faire grimper la valeur théorique de Glencore, dont la réputation parvient entre-temps à se dissocier de celle de Marc Rich. Dans le même temps, Ivan Glasenberg préside à une série d’acquisitions pour un total de 30 milliards de dollars, qui lui donnent le contrôle des matières premières dans des pays allant du Canada au Congo en passant par la Russie et la Zambie. La plupart de ces acquisitions portent leurs fruits.


Boom Le patron de Glencore a profité d’un rallie phénoménal des prix des matières premières dès 2002.

Des profits multipliés par cinq

Et dans les cinq ans qui suivent sa nomination, Glasenberg parvient à quintupler les profits du groupe. Il transforme la société d’un simple courtier de matières premières en fournisseur intégré, puis en géant du secteur qui contrôle les ressources les plus importantes de la planète. Glencore détient aujourd’hui 60% du commerce du zinc, 28% du commerce du charbon et 50% des échanges sur le cuivre. Début 2011, quand la société annonce vouloir entrer en Bourse, elle est à l’apogée de son succès, ce qui permet aux actionnaires, dont le principal n’est autre que Glasenberg, de maximiser la valeur de leurs parts. S’il est l’un des hommes les plus riches et les mieux informés de la terre, s’il côtoie les oligarques russes et les magnats du secteur minier africain, Ivan Glasenberg conserve, même après l’exercice de transparence auquel a dû se livrer la société, les traits de discrétion légendaire qui en ont caractérisé la culture durant toutes ces années. Pour lui, devoir sortir de l’ombre et devenir une personnalité publique a même constitué, selon des témoignages relayés par Reuters, sa principale préoccupation avant l’entrée en bourse de Glencore.

Peu enclin à se laisser photographier ou à se livrer à la presse, il n’a donné qu’une unique interview dans les cinq années qui ont suivi sa nomination. Ce fils d’un immigré juif lituanien et d’une mère sud-africaine, né à Johannesburg en 1957, est depuis ses plus jeunes années une bête de compétition. Très tôt, sa soif de gagner se révèle lorsqu’il devient champion junior de marche athlétique, représentant l’Afrique du Sud et Israël. L’aventure avec Glencore démarre en 1984. Un diplôme d’expert-comptable en poche, il est recruté par Marc Rich & Co à New York. Mais les poursuites américaines pour évasion fiscale dirigées contre Marc Rich forcent la société à réduire la voilure outre-Atlantique, et le jeune employé se voit muté en Afrique du Sud, où il rejoint le département charbon, commençant en bas de l’échelle. Puis il poursuit son apprentissage en Australie, avant de diriger les bureaux de Hongkong et de Beijing en 1989-1990. Son ascension, il la doit d’abord à sa grande force de travail, mais aussi à l’apprentissage de toutes les ficelles du métier, ayant grimpé un à un les échelons de la société. On ne peut, par ailleurs, sous-estimer les avantages d’une expérience acquise directement de la bouche de Marc Rich, qui est alors CEO de la société.

La cause Glencore

En 2005, BusinessWeek raconte comment Ivan Glasenberg, notamment, a fait partie des «Rich boys», à savoir les traders du cercle privilégié de Marc Rich qui, malgré ses déboires, restera l’homme crédité pour l’invention du marché mondial de l’achat de pétrole brut au comptant (ou «marché spot»). Dans un hommage au fondateur, le Financial Times a d’ailleurs obtenu en janvier dernier une très rare interview de Marc Rich, qui vit aujourd’hui à Meggen, près de Lucerne, au sujet de l’entrée en Bourse de Glencore. Jugeant positive l’opération, l’ex-trader voyou n’a pas caché ses réserves quant à la relative perte de liberté qu’entraînent les exigences de transparence accrue auxquelles devra désormais se soumettre la société.

Autre temps, autres mœurs, Ivan Glasenberg va pousser ses équipes certes à une «agressivité» dans la manière de mener les transactions, devenue la marque de fabrique des traders Glencore tels que les opérateurs des marchés les décrivent, mais surtout à ne pas compter leurs heures de travail. Lui-même, des années durant, n’a vécu que pour son métier. «On sacrifie beaucoup de choses au début de sa carrière pour réussir, a-t-il confié, s’exprimant face aux étudiants de l’Université de Caroline du Sud, lors de l’unique discours public donné durant les cinq ans qui ont suivi sa nomination. Pour avoir une longueur d’avance sur ses concurrents, a-t-il poursuivi, il faut travailler dur. Beaucoup diront que la chance est importante, mais je pense que vous créez votre propre chance en travaillant dur pour vous assurer que vous ne ratez pas d’opportunités.» Prendre l’avion, se déplacer soi-même pour voir des mines, rencontrer des partenaires commerciaux. Tout cela représente au moins 70 à 80% du temps du CEO de Glencore. Rarement, il passe plus d’un jour par semaine à Zoug, mais il en profite pour voir ses traders et les motiver. Pour le reste, Ivan Glasenberg travaille sur le terrain et entretient des contacts jusqu’aux plus hauts niveaux.

Régner sur le monde des matières premières aujourd’hui, avoir cette influence, c’est avoir su bâtir avec talent, discipline de fer et abnégation, sur un énorme capital constitué, ces trente dernières années, au prix de mille risques, folies et manigances, par les ancêtres visionnaires du métier.

Le fondateur

Marc Rich: le premier roi moderne du pétrole

Le trader s’est forgé une légende d’auteur de coups les plus audacieux.

La mise en bourse de l’année n’aurait pas pu avoir lieu sans l’audace d’un homme, Marc Rich. Aujourd’hui multimillionnaire retraité sur les rives du lac des Quatre-Cantons, le trader a fondé Glencore sous son propre nom à Zoug en 1974 en forgeant sa légende d’auteur de coups les plus audacieux. C’est lui qui inventa, au début des années 1970, le marché spot du pétrole en vendant à qui le voulait du brut iranien transitant par un oléoduc reliant la mer Rouge à la Méditerranée passant par Israël, alors que le canal de Suez était fermé. Les chocs pétroliers des années 1970 lui ont permis d’engranger des profits considérables, avant de devenir le fugitif fiscal le plus célèbre au monde. Plutôt que d’encourir l’amende salée et la peine de prison que lui promettaient les autorités américaines, il préféra s’expatrier à Zoug en 1983. C’est lui qui, encore, suscita un tollé international lorsqu’il obtint le pardon de Bill Clinton au dernier jour de sa présidence en janvier 2001.

Racontée par le journaliste alémanique Daniel Ammann, la vie du trader est une succession de prises de paris les plus osés et de transactions réussies entre les acteurs les plus improbables, comme ces livraisons de brut iranien au régime d’apartheid sud-africain dans les années 1980. S’il a souvent été servi par la chance, Marc Rich s’est également appuyé sur d’efficaces réseaux de l’ombre, à commencer par le plus célèbre d’entre eux, le Mossad. Ces avantages lui ont permis de garder un temps d’avance sur ses concurrents après avoir dynamité le monopole des «Sept Sœurs», les grandes compagnies pétrolières. Ayant alors atteint un sommet au début des années 1990, la société réalisait un chiffre d’affaires de 30 milliards de dollars et son bénéfice oscillait entre 200 et 400 millions. Néanmoins, après plusieurs opérations ratées, Marc Rich s’est vu mettre à l’écart par ses associés. En 1994, ces derniers lui ont racheté la société pour 600 millions de dollars. Leur premier geste a été de faire disparaître le nom Marc Rich + Co au profit de la nouvelle marque Glencore. (Yves Genier)

 Source:http://www.bilan.ch/articles/economie/ivan-glasenberg-le-%C2%ABmagneto-%C2%BB-des-mati%C3%A8res-premi%C3%A8res

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